LES POILUS DE GIVERNY – AOÛT 14


Article de Franck Ravatin

Lecteurs, lectrices , frotteurs, frotteuses de cello strings. Je viens à vous en fâcheuse situation.

Figurez vous que L’AFV m’a demandé de vous écrire un petit article sur les « Poilus de Giverny « . Comme vous imaginez, je suis pas écrivaillon, plutôt pousse-copeaux, vous pouvez pas savoir comme c’est dur pour un Gépetto, entouré de son chat et de son poisson rouge à longueurs de journées de parler de soi. Bon, question poisson rouge, je suis un poil libéré, les chats l’ont bouffé, un matin…. Gépetto était du genre à attendre la bonne fée qui donnerait vie à ses bouts de bois, un brave luthier attend le musicien qui élèvera une voix sous son archet, forme de vie.

Que je vous raconte une belle histoire de lutherie, d’amitié, de partage.

Printemps 2013 : Michel Strauss, son épouse Masha, et bambini, viennent se relaxer sous le chaud et généreux soleil Breton. Les emmène en bateau grappiller des belles araignées de mer, histoire d’assurer le dîner. Michel enfile, pour la première fois une combine de plongé, je le leste de 12 kilos de plomb, et via, tu sautes dans le jus, Michel. Tu farfouilles dans le bouillon. Des araignées, il en a ramené un paquet, quand on est doué, c’est en tout.

Retour, cuisson, et champagne, muscadet, décorticage, miam-miam, c’est goûtu cette affaire. Et Michel qui commence à m’entreprendre sur son festival de chambre de Giverny, cherche du pognon, comme tout le monde, me demande si j’ai pas dans mes clients, relations, un riche donateur potentiel Américain, Australien, Chinois . Que nenni, frotteuses, frotteurs. Mais, j’y propose illico un projet de ouf. « Je te réunis une équipe de joyeux luthiers, nous te faisons un cello pendant ton festoch , et il sera vendu au profit du festival ». C’est ce que je fais tous les trois ans, au festival de violoncelle d’Adélaïde, en Australi, pour aider financièrement mon ami Janis Laurs, déjà trois cellos de faits.

Je dois vous confier, chers colophaneurs, chères colophaneuses, que le lendemain, une fois le Muscadet redescendu à un niveau proche du zéro, j’étais pas fier ; me demandais comment j’allais faire.  Les mois passent, et je décide de publier une annonce dans le bulletin des luthiers et archetiers d’art de France. « Cherche joyeux lulu pour produire cello en groupe au festival de Giverny « . Peu d’espoir, les gars, les filles, mais à mon énorme surprise, des réponses, dans la semaine suivante. Et  du gros calibre. Je m’attendais à une équipe de bras cassés, non, rien que du bon.

J’énumère, je présente.

les poilus de GivernyJean-Michel Desplanches, Nicolas Perrin, Francesco Coquoz de Paris, Maurice Beaufort de Besançon, Jean Seyral de Bayonne, Pascal Lavigne de Grenoble, Pascal Douillard du Puy en Velay, Fred Samzun de Lorient, et ma pomme, de Vannes.

Le challenge ? Faire un cello en 10 jours, joué, en blanc, donc non verni à la clôture du festival. Delphine Desbord, coordinatrice du bazar nous trouve un superbe atelier de peintres, spacieux, lumineux. Et là, c’est parti, ça copeaute à donf. On transporte les établis, les outils, au bas mot une tonne de matos. Chacun vient avec ses outils (rabots, canifs, presses, serre-joints, de la ferrailles à tout va). Pour un luthier, chaque outil est perso, impossible de travailler avec du matériel inconnu. Attention, tout est réfléchi, dans le copeau, contrôlé au quart de poil. Je coordonne, pas pour des questions de pouvoir, d’égo, mais si nous voulons garder une unité de style, il faut une seule tête. Plaisir de ces heures partagées, de ces discussions, constructives , pas toujours d’accord sur ce que chacun pense d’un instrument, mais quel enrichissement, quel échange. Chacun a appris au contact du groupe, nous avons travaillé dur, beaucoup, du mieux que nous pouvions. Certains étaient encore à l’établi à minuit . Nous avons eu, aussi, le bonheur de véritables concerts dans l’atelier, les musiciens du festival passaient discuter, jouer nos instruments. Les repas du soir pris sous la tonnelle, avec la pluie et ses 7 degrés en plein été, le méchant rhume qui s’installe. Bonheur, chers pousseurs, chères tireuses d’archet, j’ai jamais pris de rhume en Août, ben ce fut une première.

Première étape, les éclisses. Le moule, fait sur un modèle que j’ai dessiné , il y a quelques années, monté par Jean et votre serviteur. Ça prend deux jours, cette affaire, c’est pas le plus passionnant dans la construction d’un cello, une structure d’éclisses comprend 24 pièces, pliées, ajustées, collées. 3 heures d’attente minimum entre deux collages, c’est juste technique, un peu rasoir. Ensuite, on entre dans le dur, reporter la ligne extérieure sur la table et le fond, ébaucher les voûtes à la gouge, travail de sculpture, qui nous donne de nombreuses indications sur les bois. Dureté, flexibilité, densité, ces paramètres vont déterminer, au fur et à mesure l’architecture des voûtes. Hautes, basses, rondes ou plutôt plates . Chacun d’entre nous s’y est mis à un moment ou un autre . Ensuite, tout s’enchaîne, finir les bords, les filets, (Maurice a fait la mortaise sur le fond, dans un bois très dur qui réclamait une main d’acier infaillible, j’ai fait la table ), chacun a fait un onglet (les pointes de filets dans les coins), ça ne se voit pas, elles sont toutes identiques, d’une belle unité. Finir les voûtes, travailler les épaisseurs, fermer le coffre. Pendant ce temps, Francesco se concentrait sur la tête, tranquille, peinard, indépendant, car elle ne peut être faite que par une seule personne . Viennent les finitions , et l’enclavement du manche sur le coffre, c’est Nicolas qui s’y est collé, courageusement, un soir, il est resté seul à l’atelier.

L’enclavement est une opération très difficile techniquement, qui réclame une forte concentration, pas d’erreur possible. Nous l’avons tous lâchement abandonné, sommes allés bâfrer, rigoler sous la tonnelle à 7 degrés. Nico revient sur les coups de minuit, « ça y est , les gars, c’est collé ».  On lui porte un toast . Encore une journée ou deux pour les finitions, le montage, et le cello est prêt, dans les mains de Michel pour être baptisé lors du dernier concert du festival. 9 lulus émus .

Bref, nous bossâmes,  nous rigolâmes, nous biberonnâmes, et nous finissâmes ce cello. Dans la joie, le partage, ce fut un moment qui restera dans la profession des joyeux lulus.

J’ai ramené le cello chez moi, l’ai verni, il est beau, il sonne bien, nous en sommes tous fiers. Nous l’avons rentré dans le concours de violoncellenseine, il a été finaliste, ce qui veut dire dans les 9 premiers sur 42, c’est un beau résultat. J’ai adoré voir mes  poilus sur scène à la remise des diplômes.

les poilus de GivernyVous vous demandez l’origine des poilus ? Il a été fait par neuf gaziers, des  barbus, des glabres, mais testostéronés comme il faut, et la programmation du festival de Giverny portait en partie sur la musique écrite pendant la grande guerre. De plus, nous l’avons fait en Août 14 ……

En fait, ce violoncelle a été dédié à Raphaël Drouin, grande figure et pianiste du festival de Giverny, disparu au printemps dernier. C’est avec une grande émotion que Michel et Masha ont écrit une dédicace à leur ami, dans le cello. Je vous en livre une photo .

Je parle au nom de mes copains, de mes chers  confrères. Merci à Michel, merci à Masha, merci à Delphine qui s’est démenée, dépatouillée de complications sans fin. Ces jours merveilleux, ce violoncelle nous unissent d’une amitié profonde.

Frank Ravatin

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